Le 19 octobre 2023, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel avec motifs à suivre dans l’appel suivant. Voici les motifs:

Droit criminel: condamnation injustifiée; interdictions de publication

Société Radio‑Canada c. Manitoba2018 MBCA 1252023 CSC 27 (38992)

«Au cours de procédures pour condamnation injustifiée devant la Cour d’appel, un accusé a voulu produire, en tant que nouvel élément de preuve, un affidavit au sujet de la mort d’un témoin ayant participé à ces procédures. La Cour d’appel a prononcé une interdiction de publication visant l’affidavit et, dans ses motifs de jugement, elle a ordonné le maintien en vigueur de l’interdiction de publication. La SRC demande maintenant à la Cour d’annuler l’interdiction de publication.»

La Cour suprême du Canada dit que l’appel est rejeté.

La Cour écrivent comme suit (aux paragraphes 8-12):

«Suivant l’arrêt Sherman, « la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que : 1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important; 2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et 3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs » (par. 38). Chacun des volets du test mérite quelques commentaires.

Nous souscrivons à l’opinion selon laquelle, au regard du premier volet du test énoncé dans Sherman, il existe un solide intérêt public commandant de protéger la vie privée de la conjointe du témoin en ce qui concerne la mort de ce dernier afin de prévenir une atteinte à la dignité de la conjointe (voir le jugement sur la motion renvoyée, par. 77). Nous sommes d’accord pour dire que les renseignements personnels contenus dans l’affidavit représentent une atteinte directe à la dignité de la conjointe elle‑même. Pour reprendre les mots employés par la Cour d’appel, ces renseignements [traduction] « touchent à l’essence même de ce qui caractérise le témoin et sa conjointe en tant qu’êtres humains en situation d’extrême vulnérabilité » (par. 77). En l’espèce, la divulgation du contenu de l’affidavit révélerait des renseignements hautement sensibles et éminemment personnels faisant intervenir directement l’intérêt de la conjointe au titre de la dignité.

Pour bien apprécier l’intérêt pertinent au titre de la dignité, il suffit de constater que la dignité de la conjointe du témoin est compromise. Il n’est pas nécessaire, pour justifier l’interdiction de publication en l’espèce, de trancher la question de savoir s’il existe un intérêt au titre de la dignité dans le cas du témoin défunt. En effet, il est satisfait au premier volet du test énoncé dans Sherman, en ce que la publicité des débats judiciaires poserait un risque sérieux pour la dignité de la conjointe, qui constitue un intérêt public important.

Nous sommes également d’accord pour conclure que l’interdiction de publication est nécessaire afin d’éviter un risque sérieux pour l’intérêt public important que constitue la protection de la dignité de la conjointe du témoin (voir le jugement sur la motion renvoyée, par. 78); que l’interdiction de publication n’avait pas une portée excessive ou un caractère vague, et qu’elle devrait être permanente (par. 80); et qu’il n’existait aucune solution de rechange raisonnable aux modalités de l’interdiction de publication (par. 83). En particulier, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel en 2023, il serait facile d’identifier le témoin si des portions de l’affidavit étaient divulguées. Dans ces circonstances, la Cour d’appel était autorisée à conclure en 2018 que le fait de publier des détails figurant dans l’affidavit, sans le nom du témoin, risquerait néanmoins d’établir un lien entre les renseignements et ce dernier, et de rendre inutile l’interdiction de publication (voir le jugement sur la motion renvoyée, par. 81). Par conséquent, il est également satisfait au second volet du test.

Enfin, pour ce qui est du troisième volet, nous faisons nôtre la conclusion de la Cour d’appel dans le jugement sur la motion renvoyée selon laquelle les avantages de l’interdiction de publication prononcée en 2018 l’emportent largement sur ses effets néfastes minimes sur le droit à la liberté d’expression et, par extension, sur le principe de la publicité des débats judiciaires. L’avantage de l’interdiction de publication est qu’elle protège la dignité de la conjointe du témoin, comme nous l’avons expliqué plus tôt, alors qu’elle a un effet négatif minime sur le droit à la liberté d’expression et le principe de la publicité des débats judiciaires (par. 92‑93). L’affidavit ne concernait pas la condamnation injustifiée ou la légitimité de l’appel de l’accusé devant la Cour d’appel en 2018. Comme celle‑ci l’a fait observer dans son jugement sur la motion renvoyée, l’affidavit [traduction] « ne permet pas de prouver quoi que ce soit » (par. 91). En l’espèce, l’affidavit n’a pas été admis en preuve dans les procédures pour condamnation injustifiée et, en conséquence, il n’a joué aucun rôle dans la décision concluant qu’il y avait eu condamnation injustifiée.»