Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23 (40135)
«En 2019, à la suite d’un examen du processus fédéral d’évaluation environnementale existant, le Parlement a adopté la Loi sur l’évaluation d’impact (« LÉI »), et le gouverneur en conseil a pris le Règlement sur les activités concrètes (« Règlement ») en vertu de la LÉI. La LÉI et le Règlement établissent un régime complexe de réglementation et de collecte de données, lequel est essentiellement deux régimes en un. Premièrement, une partie distincte du régime — prévue aux art. 81 à 91 de la LÉI — traite des projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger. Deuxièmement, le reste du régime — composé des dispositions restantes de la LÉI ainsi que du Règlement — traite des « projets désignés » au sens de la LÉI.
Le processus d’évaluation d’impact des projets désignés peut être divisé en trois principales étapes : l’étape préparatoire, l’étape de l’évaluation d’impact et l’étape de prise de décisions. L’étape préparatoire porte principalement sur la collecte initiale de données. Le promoteur d’un projet désigné doit fournir à l’Agence d’évaluation d’impact une description initiale du projet. L’Agence consulte ensuite plusieurs parties, et décide si le projet doit faire l’objet d’une évaluation d’impact. À l’étape de l’évaluation d’impact, le promoteur est tenu de fournir les études ou renseignements nécessaires à l’entité qui effectue l’évaluation, soit l’Agence ou son délégataire. Cette étape débouche sur l’établissement d’un rapport d’évaluation qui indique les effets que la réalisation du projet désigné est susceptible d’entraîner et identifie les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » qui sont négatifs ainsi que les « effets directs ou accessoires » négatifs, termes définis à l’art. 2 de la LÉI. Le rapport d’évaluation doit aussi tenir compte de nombreux facteurs d’évaluation obligatoires énumérés à l’art. 22 de la LÉI. Figurent parmi ces facteurs obligatoires les changements causés à l’environnement ou aux conditions sanitaires, sociales ou économiques et les répercussions positives et négatives de tels changements. En dernier lieu, lors de l’étape de la prise de décisions, le décideur doit déterminer si les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs ou les effets directs ou accessoires négatifs sont dans l’intérêt public. Si le décideur conclut que les effets en question sont dans l’intérêt public, le ministre de l’Environnement doit fixer toute condition qu’il estime indiquée relativement à ces effets.
Le processus d’évaluation prévu aux art. 81 à 91 est axé sur un ensemble restreint de projets : les activités concrètes réalisées sur un territoire domanial ou à l’étranger liées à un ouvrage qui ne sont pas des projets désignés ni des activités concrètes désignées par règlement et les activités concrètes désignées en vertu de l’art. 87 ou qui font partie d’une catégorie d’activités concrètes désignée. Les articles 81 à 91 ne dictent pas un processus d’évaluation d’impact, mais obligent plutôt l’autorité fédérale qui réalise ou finance le projet à décider si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Si tel est le cas, il faut alors décider si ces effets sont justifiés dans les circonstances.
Le lieutenant‑gouverneur en conseil de l’Alberta a renvoyé deux questions à la Cour d’appel de la province. Celles‑ci demandaient si la LÉI était inconstitutionnelle en tout ou en partie du fait qu’elle excède la compétence législative que confère la Constitution au Parlement, et si le Règlement était inconstitutionnel en tout ou en partie du fait qu’il est censé s’appliquer à certaines activités énumérées à l’annexe 2 qui se rapportent à des matières relevant entièrement de la compétence législative que confère la Constitution aux provinces. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que la LÉI et le Règlement sont ultra vires du Parlement et qu’ils sont donc inconstitutionnels dans leur intégralité. Le procureur général du Canada se pourvoit de plein droit devant la Cour.»
La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est accueilli en partie.
Le juge en chef écrit comme suit (aux paragraphes 3-6, 73-74, 109, 119-121, 127, 154, 157, 167-168, 180, 190, 204, 206-207, 212-214):
«Le présent pourvoi ne porte pas sur la question de savoir si le Parlement peut légiférer pour protéger l’environnement. Il est clair que le Parlement peut le faire en vertu des chefs de compétence qui lui sont attribués dans la Loi constitutionnelle de 1867. Le présent pourvoi appelle plutôt notre Cour à évaluer la constitutionnalité du régime législatif précis que le Parlement a adopté pour protéger l’environnement de certaines activités humaines : la Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, c. 28, art. 1 (« LÉI »), et le Règlement sur les activités concrètes, DORS/2019‑285 (« Règlement »), connexe. Notre Cour doit veiller à ce que, dans sa quête louable de protection et de durabilité de l’environnement, le Parlement n’a pas outrepassé ses limites constitutionnelles.
Je souligne d’emblée que, si la protection de l’environnement est une valeur fondamentale au Canada, elle doit toujours respecter le partage constitutionnel des compétences. Puisque la protection de l’environnement chevauche de nombreux domaines de responsabilité constitutionnelle, elle touche nécessairement aux compétences législatives fédérales et provinciales. Étant donné la [traduction] « vaste » portée de la réglementation environnementale, il faut aborder les différends sur le partage des compétences dans le contexte environnemental avec une « grande perspicacité » (voir Hydro‑Québec, par. 154). Le respect du partage des compétences entraîne l’adoption de lois solides protégeant l’environnement et facilite la collaboration entre les deux ordres de gouvernement.
Après avoir soigneusement examiné le régime législatif complexe en litige dans le présent pourvoi, je conclus qu’il est en partie inconstitutionnel. Comme je l’expliquerai, le régime est essentiellement deux régimes en un. Premièrement, une partie distincte du régime — prévue aux art. 81 à 91 de la LÉI — traite des projets réalisés ou financés par les autorités fédérales sur un territoire domanial ou à l’étranger. De par son caractère véritable, cette partie du régime prescrit la manière dont les autorités fédérales évaluent les effets négatifs importants que peuvent avoir de tels projets sur l’environnement. Cette partie du régime est clairement intra vires.
Deuxièmement, le reste du régime — composé des dispositions restantes de la LÉI ainsi que du Règlement — traite des « projets désignés » au sens de la LÉI. Le caractère véritable de ce régime des projets désignés consiste à évaluer et à réglementer les projets désignés en vue d’atténuer ou de prévenir les impacts négatifs qu’ils peuvent avoir en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique. Selon moi, le Parlement a clairement outrepassé la compétence que lui reconnaît la Constitution en adoptant ce régime des projets désignés. Ce régime est ultra vires pour deux raisons primordiales. En premier lieu, de par son caractère véritable, il ne vise pas à réglementer les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » au sens de la LÉI, parce que les effets en question ne dictent pas les fonctions décisionnelles du régime. En second lieu, je n’accepte pas la prétention du Canada selon laquelle la notion définie des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » cadre avec la compétence législative fédérale. La portée excessive de ces effets exacerbe la fragilité constitutionnelle des fonctions décisionnelles du régime.
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Je souligne toutefois que la présomption de constitutionnalité n’est pas un bouclier impénétrable qui met un texte législatif à l’abri d’un contrôle de la constitutionnalité par les tribunaux. Les tribunaux ne peuvent pas non plus se servir de la présomption de constitutionnalité pour réécrire un texte législatif comme bon leur semble afin de le rendre conforme à la Constitution. Ils ne peuvent recourir à cette présomption pour faire abstraction d’une loi éloquente et ultra vires de l’organe qui l’a adoptée. Comme l’a statué le juge Gonthier dans Law Society of British Columbia c. Mangat, 2001 CSC 67, [2001] 3 R.C.S. 113, par. 66, la présomption de constitutionnalité « s’applique uniquement lorsque la cour peut raisonnablement adopter les deux interprétations opposées ». Dans cette affaire, le juge Gonthier a refusé de considérer que les dispositions attaquées étaient conformes aux normes constitutionnelles, car pareille interprétation « serait incompatible avec le texte et le contexte de la loi fédérale » (par. 66; voir aussi McKay, p. 803‑804; J. M. Keyes et C. Diamond, « Constitutional Inconsistency in Legislation — Interpretation and the Ambiguous Role of Ambiguity » (2017), 48 R.D. Ottawa 313, p. 321‑322). Ainsi, bien que la présomption de constitutionnalité soit un « principe cardinal » qu’il faut garder à l’esprit, elle n’écarte pas l’obligation des tribunaux de contrôler valablement la constitutionnalité d’un texte législatif.
Dans la même veine, le tribunal ne saurait contourner son obligation de contrôler valablement la constitutionnalité d’un texte législatif en suggérant que, dans la mesure où un décideur administratif applique inconstitutionnellement une loi, l’application de cette loi pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La constitutionnalité d’une loi et son application administrative sont des concepts distincts. Lorsqu’une loi constitutionnelle accorde à un décideur un pouvoir discrétionnaire large et imprécis, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable et conformément à l’objectif pour lequel il a été conféré (Renvois relatifs à la LTPGES, par. 73). Mais une loi ultra vires et, en conséquence, inconstitutionnelle ne peut être sauvegardée par la possibilité d’un contrôle judiciaire administratif. Comme l’a expliqué le juge La Forest dans Hydro‑Québec, par. 73 :
- . . . la constitutionnalité d’une loi ne peut déprendre des aléas de la pratique gouvernementale existante ni de la façon dont des pouvoirs discrétionnaires semblent avoir été exercés jusqu’à maintenant. Ce sont les limites de l’exercice de ces pouvoirs discrétionnaires et l’étendue du pouvoir de réglementation créé par la loi contestée qui sont en cause ici. Il ne suffit pas de répondre qu’une loi est appliquée avec modération pour repousser une prétention qu’elle est inconstitutionnelle. Si la loi est inconstitutionnelle, elle ne peut pas du tout s’appliquer. [Souligné dans l’original.]
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En somme, après avoir examiné la preuve intrinsèque et la preuve extrinsèque de l’objet ainsi que les effets juridiques et les effets pratiques du régime, je conclus qu’il a deux composantes distinctes. Le caractère véritable de la première composante du régime, celle des « projets désignés », vise à évaluer et à réglementer les projets désignés afin d’atténuer ou de prévenir les impacts négatifs qu’ils peuvent avoir en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique. Le caractère véritable de la seconde composante, énoncée aux art. 81 à 91de la LÉI, vise à prescrire la façon dont les autorités fédérales qui réalisent ou financent un projet sur un territoire domanial ou à l’étranger évaluent les effets environnementaux négatifs importants que peut avoir le projet.
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De nombreuses matières législatives importantes ne sauraient être réduites à un domaine distinct. En effet, les gouvernements canadiens doivent s’attaquer à des enjeux complexes et multidimensionnels susceptibles de relever de nombreux chefs de compétence (Downey et autres, p. 282). La doctrine du double aspect explique en quoi des lois adoptées par les ordres de gouvernement fédéral et provincial peuvent valablement réglementer le même scénario factuel de différents points de vue, conformément à leurs chefs de compétence respectifs. Des chevauchements de cette nature sont une caractéristique inévitable et légitime du système fédéral canadien (Transport Desgagnés, par. 83; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, p. 180‑181; Banque canadienne de l’Ouest, par. 36 et 42).
Toutefois, la doctrine du double aspect doit être appliquée avec prudence. En premier lieu, ce ne sont pas toutes les situations de fait qui donnent lieu à un double aspect, et chaque situation de fait doit être circonscrite de façon précise. L’évaluation environnementale d’activités concrètes peut avoir ou non un double aspect dans le cadre d’un projet en particulier.
En second lieu, la possibilité que l’évaluation environnementale d’activités concrètes ait un double aspect — en raison d’éléments relevant de la compétence législative de chacun des ordres de gouvernement — ne signifie pas pour autant que l’évaluation environnementale est un champ de compétence concurrente (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 66; Transport Desgagnés, par. 82‑83; Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, par. 268‑271, les juges LeBel et Deschamps; Oldman River, p. 71‑72; Brun, Tremblay et Brouillet, par. VI‑2.41). Lorsqu’une situation de fait peut être réglementée à la fois d’un point de vue fédéral et d’un point de vue provincial, chaque ordre de gouvernement ne peut qu’adopter des lois qui, de par leur caractère véritable, relèvent de sa compétence respective. En d’autres termes, les deux ordres de gouvernement ont le pouvoir exclusif de légiférer dans leurs champs de compétence respectifs, et ce, même s’ils se trouvent dès lors à réglementer la même situation de fait (Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 749, p. 766).
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Les descripteurs « activités » et « gestion d’une ressource » aident à expliquer comment les deux ordres de gouvernement peuvent valablement réglementer un projet en particulier. Une activité qui semble relever d’un chef de compétence attribué à un ordre de gouvernement peut néanmoins présenter certains aspects — comme ses répercussions sur certaines ressources — qu’il est possible de réglementer en vertu d’un chef de compétence attribué à l’autre ordre de gouvernement. Donc, par exemple, alors que l’activité de construire une mine relève principalement de la compétence provinciale, les impacts de la construction sur des ressources comme les pêcheries et les eaux navigables sont des aspects qui peuvent être réglementés en vertu de la compétence législative fédérale (Moses, par. 36).
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Compte tenu de la portée considérable du mécanisme de désignation prévu par le régime, la décision suivant l’examen préalable pose problème sur le plan constitutionnel. Il y a un risque que des projets qui ne présentent guère de possibilités d’effets négatifs liés aux compétences fédérales, voire aucune possibilité, fassent néanmoins l’objet d’une évaluation d’impact sur la base de considérations moins importantes, mais obligatoires. Le fait que cette décision ne soit pas dictée par la probabilité des impacts liés aux compétences fédérales démontre que l’« idée principale » du régime s’écarte des matières fédérales. Je ne peux recourir à la présomption de constitutionnalité dans le cas de l’art. 16 parce que son texte, son contexte et son objet font obstacle à une interprétation raisonnable conforme à la validité constitutionnelle.
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À mon avis, l’étape de l’évaluation n’implique pas en soi un exercice inconstitutionnel de la compétence législative fédérale. Pour comprendre pourquoi l’étape de l’évaluation prévue par le régime fédéral est conforme à la Constitution, il est nécessaire de faire la distinction entre, d’une part, la notion d’évaluation environnementale et, d’autre part, celle de prise de décisions environnementales. Comme je vais l’expliquer, les limites acceptables sont plus grandes dans le cas de l’évaluation qu’elles ne le sont dans le cas de la prise de décisions. Bien que le gouvernement fédéral puisse uniquement légiférer à l’égard d’activités qui relèvent de sa compétence ou d’effets environnementaux ayant un impact sur ses champs de compétence, sa marge de manœuvre n’est pas aussi limitée dans sa collecte de données et son évaluation. En d’autres termes, à l’étape de l’évaluation, le gouvernement fédéral n’est pas tenu d’examiner uniquement les effets environnementaux de nature fédérale.
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Deux caractéristiques des éléments obligatoires de l’intérêt public méritent qu’on s’y attarde. En premier lieu, ces éléments ne se réduisent pas tous à la compétence législative fédérale. À titre d’exemple, l’al. 63a) requiert une prise en compte de la « durabilité », un terme défini comme s’entendant de la « [c]apacité à protéger l’environnement, à contribuer au bien‑être social et économique de la population du Canada et à maintenir sa santé, dans l’intérêt des générations actuelles et futures » (art. 2). Cela englobe tous les effets environnementaux, sociaux et économiques, et non pas seulement ceux que le gouvernement fédéral a compétence pour réglementer.
Deuxièmement, certains éléments sont délimités relativement à l’évaluation du projet dans son ensemble plutôt qu’en lien avec les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » qui sont négatifs. Pour utiliser le même exemple, l’al. 63a) requiert la prise en compte de « la mesure dans laquelle le projet contribue à la durabilité ». De même, l’al. 63e) requiert la prise en compte de « la mesure dans laquelle les effets du projet » — en d’autres mots, pas seulement ses effets relevant d’un domaine de compétence fédérale — « portent atteinte ou contribuent à la capacité du gouvernement du Canada de respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements à l’égard des changements climatiques ».
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La portée excessive des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » définis se manifeste de deux façons distinctes. Premièrement, la définition est centrale aux fonctions décisionnelles du régime. Sa portée excessive dilue l’attention du décideur aux stades décisionnels importants, détournant son attention des aspects fédéraux et englobant des aspects de compétence provinciale. Deuxièmement, les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » définis constituent le fondement des interdictions prévues par l’art. 7. En raison de la portée excessive de ces effets définis, la conduite interdite à l’art. 7 va au‑delà de l’éventail de comportements que le Parlement peut valablement réglementer en conformité avec les chefs de compétence qui lui sont attribués.
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La portée excessive des effets réglementés par le régime influe également sur la supervision et la réglementation continues imposées à la fin du régime. Comme nous l’avons vu, le rôle du gouvernement fédéral dans l’évaluation d’impact ne se termine pas lorsque la déclaration est faite. Le régime prévoit une supervision et une réglementation continues sous forme de conditions obligatoires (dans le cas d’une déclaration favorable) ou d’interdictions (dans le cas d’une déclaration défavorable). Les interdictions — plus précisément les interdictions fondées sur les effets qu’impose l’art. 7 — témoignent de la portée excessive des « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » définis.
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En somme, je suis convaincu que la matière du régime des « projets désignés » ne peut être rattachée aux chefs de compétence fédérale, et que le régime est donc ultra vires. De par son caractère véritable, elle vise à évaluer et à réglementer les projets désignés afin d’atténuer ou de prévenir les impacts négatifs qu’ils peuvent avoir en matière environnementale, sanitaire, sociale et économique. Il outrepasse les limites de la compétence fédérale pour deux raisons primordiales. En premier lieu, même si notre Cour acceptait l’argument du Canada selon lequel les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » définis ressortissent à la compétence fédérale, ces effets ne dictent pas les fonctions décisionnelles prévues par le régime. En conséquence, le régime ne vise pas, de par son caractère véritable, à réglementer ces effets. En deuxième lieu, je n’accepte pas l’argument du Canada que les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » respectent la compétence législative fédérale établie à l’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme je l’ai expliqué, cette définition trop large dilue davantage le point de mire des fonctions décisionnelles prévues par le régime. Il étend en outre la conduite prohibée par l’art. 7 au‑delà de ce que le Parlement peut valablement réglementer en conformité avec les chefs de compétence qui lui sont attribués.
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Comme je l’ai souligné au départ, le Parlement peut clairement adopter une loi pour protéger l’environnement en vertu des chefs de compétence qui lui sont attribués dans la Loi constitutionnelle de 1867. Il est en outre loisible au Parlement d’instaurer un régime d’évaluation d’impact dans le cadre de sa quête louable de protection et de durabilité de l’environnement. À cet égard, je partage l’avis de mes collègues dissidents et de la juge Greckol, de la Cour d’appel. Cependant, pareil régime doit être constamment axé sur des matières fédérales. À certains stades d’un processus d’évaluation d’impact, l’accent mis sur des matières fédérales sera nécessairement imparfait ou imprécis. Les projets devraient être désignés en fonction des effets qu’ils peuvent avoir sur des champs de compétence fédérale car, comme je l’ai expliqué, exiger la preuve définitive de ces effets reviendrait à mettre la charrue devant les bœufs. Au stade de l’évaluation, il serait à la fois artificiel et incertain de limiter les facteurs susceptibles d’être pris en compte à ceux qui relèvent du fédéral. Mais pour que le régime soit intra vires, son idée maîtresse doit être axée sur des matières fédérales. La décision de l’Agence suivant l’examen préalable doit reposer sur la possibilité d’effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale. La décision relative à l’intérêt public doit s’attacher à l’acceptabilité de ces effets négatifs. Le régime doit éviter que, dans les cas où l’activité en question ne relève pas de la compétence fédérale, la décision ne tende pas à réglementer le projet en tant que tel ou à évaluer la sagesse de réaliser le projet dans son ensemble. Enfin, les effets réglementés par le régime doivent s’harmoniser avec la compétence législative fédérale. Lorsqu’ils dépassent ces limites — comme le font les « effets relevant d’un domaine de compétence fédérale » — leur portée excessive imprègne les fonctions décisionnelles et les interdictions prévues par le régime, et dilue par le fait même l’accent mis par le régime sur les matières fédérales.
Après avoir conclu que la composante « projets désignés » du régime est ultra vires du Parlement, je reviens maintenant au régime secondaire établi aux art. 81 à 91 de la LÉI. Je n’ai guère de mal à conclure que ce régime secondaire est intra vires du Parlement.
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Avant de conclure, je traiterai brièvement de deux arguments distincts.
Premièrement, l’Alberta a invoqué la doctrine de l’exclusivité des compétences. Elle suggère que si la partie « projets désignés » du régime est intra vires, alors elle est inapplicable aux « projets intraprovinciaux » en raison de cette doctrine. Puisque j’ai conclu que cette partie du régime est ultra vires, il n’est pas nécessaire que j’examine cet argument subsidiaire. Deuxièmement, je ne suis pas d’avis de faire droit à la requête de l’intervenant le procureur général de l’Ontario en vue de la production de nouveaux éléments de preuve. La preuve a trait à une autoroute provinciale, l’autoroute 413, qui a été l’objet de l’étape préparatoire de la LÉI depuis le 3 mai 2021. L’Ontario n’a pas établi que cette preuve, « avec les autres éléments de preuve produits », aurait pu raisonnablement influer sur le résultat du présent pourvoi (Palmer c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 759, p. 775). La preuve ne démontre rien qui ne ressorte déjà d’une lecture attentive du régime législatif. En outre, vu les circonstances de l’espèce, je refuserais d’exercer le pouvoir discrétionnaire de notre Cour pour recevoir des éléments de preuve supplémentaires (voir, p. ex., Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, p. 318; Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, c. S‑26, par. 62(3); Règles de la Cour suprême du Canada, DORS/2002‑156, par. 46(2)).»