R. c. McColman2021 ONCA 3822023 CSC 8 (39826) 

«Pendant qu’elle effectuait une patrouille générale, la police a repéré le véhicule tout‑terrain de M garé à l’extérieur d’un dépanneur. Elle a suivi M quand celui‑ci est sorti du stationnement au volant du VTT et s’est engagé sur la voie publique. La police a formé l’intention sur la voie publique de procéder à une interception aléatoire de vérification de la sobriété de M en vertu du par. 48(1) du Code de la route de l’Ontario. Au moment où la police a rattrapé M, celui‑ci avait quitté la voie publique pour s’engager dans une entrée privée qui donnait accès à la maison de ses parents. Après l’avoir intercepté, la police a observé chez M des signes évidents d’affaiblissement des facultés et l’a arrêté. M a été accusé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite d’un véhicule à moteur avec plus de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, infractions prévues au Code criminel.

Le juge du procès a conclu que le par. 48(1) du Code de la route autorisait légalement l’interception aléatoire de vérification de la sobriété. Il a déclaré M coupable des deux accusations et a suspendu la déclaration de culpabilité pour conduite avec facultés affaiblies. Le juge d’appel des poursuites sommaires a accueilli l’appel de M, concluant que ni le par. 48(1) ni le par. 216(1) du Code de la route ne permettaient à la police de procéder à des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété sur une propriété privée sans motifs raisonnables et probables. Il a statué que la police avait violé le droit garanti à M par l’art. 9 de la Charte, et il a écarté les éléments de preuve en vertu du par. 24(2) de la Charte et prononcé un acquittement. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont rejeté l’appel interjeté par le ministère public contre l’acquittement.»

La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est accueilli, l’acquittement est annulé, et la déclaration de culpabilité et le sursis prononcés au procès sont rétablis. «Le juge Brown n’a pas participé au dispositif final du jugement.»

Le juge en chef et la juge O’Bonsawin écrivent comme suit (aux paragraphes 30, 37, 39-41, 48-50, 74-75):

«Les policiers qui procèdent à des interceptions aléatoires de véhicules doivent exercer leurs pouvoirs avec vigilance et s’assurer de ne pas outrepasser les limites de ceux‑ci. Comme ces interceptions aléatoires constituent une « détention arbitraire », la « détention ne sera justifiée au regard de l’article premier de la Charte que si la police agit dans le cadre des objectifs limités relevant de la réglementation routière en fonction desquels les pouvoirs ont été conférés » : R. c. Nolet, 2010 CSC 24, [2010] 1 R.C.S. 851, par. 22 (références omises).



La question clé en l’espèce est celle de savoir si M. McColman était un « conducteur » pour l’application du par. 48(1) du Code de la route au moment de l’interception aléatoire de vérification de la sobriété. Le Code de la route comporte deux définitions du terme « conducteur » susceptibles de s’appliquer à M. McColman. Le paragraphe 1(1) du Code de la route dispose que le « conducteur » est une « [p]ersonne qui conduit un véhicule sur une voie publique » (« “driver” means a person who drives a vehicle on a highway » dans la version anglaise). En revanche, le par. 48(18) précise que, pour l’application de l’art. 48, « “conducteur” [s]’entend en outre de quiconque a la garde ou le contrôle d’un véhicule automobile » (« “driver” includes a person who has care or control of a motor vehicle » dans la version anglaise). Dans son mémoire, le ministère public suggère qu’il est possible d’interpréter le par. 48(1) de manière à ce qu’il autorise la police à procéder à des interceptions aléatoires de vérification de la sobriété chaque fois qu’elle voit une personne qui a la garde ou le contrôle d’un véhicule automobile, qu’elle ait eu ou non l’intention sur une voie publique de vérifier la sobriété de celle‑ci. Autrement dit, il soutient que le par. 48(18) énonce des éléments essentiels de ce qui constitue un « conducteur ». Cet argument doit être rejeté pour deux raisons.

En l’espèce, la définition prévue au par. 1(1) est exhaustive et précise la portée du terme « conducteur », alors que celle énoncée au par. 48(18) est non exhaustive et élargit le sens ordinaire du terme défini. D’ailleurs, la définition du « conducteur » au par. 1(1) comporte deux volets; elle vise à la fois une activité et le lieu de cette activité. Pour être un conducteur, il faut conduire un véhicule (activité) et le faire sur une voie publique (lieu). La définition prévue au par. 48(18) vise uniquement à élargir le volet activité de la définition et non l’élément relatif au lieu.

Deuxièmement, notre Cour a déclaré que, bien que l’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation puisse varier, les tribunaux doivent chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 10. Nous le répétons, une définition non exhaustive n’écarte pas nécessairement d’autres définitions. Selon le contexte, les définitions exhaustives et les définitions non exhaustives peuvent être interprétées ensemble. Suivant une interprétation harmonieuse des deux définitions données à ce terme, un « conducteur » est, pour l’application du par. 48(1), une personne qui conduit un véhicule automobile, ou qui en a la garde ou le contrôle, sur une voie publique. La personne qui a la garde ou le contrôle d’un véhicule automobile, mais qui ne se trouve plus sur une voie publique, ne serait pas un « conducteur » au sens du Code de la route.

En l’espèce, M. McColman n’était pas un « conducteur » pour l’application du par. 48(1) lorsqu’il a été intercepté par la police. Même si l’on peut dire qu’il avait la garde ou le contrôle du VTT, il ne se trouvait pas sur une voie publique quand la police a procédé à l’interception. En conséquence, l’interception policière n’était pas autorisée par le par. 48(1) du Code de la route.



Enfin, le ministère public soutient que le fait de maintenir l’interprétation que donnent les juges majoritaires de la Cour d’appel au par. 48(1) du Code de la route créerait le problème du sanctuaire, en ce sens qu’à l’avenir, les conducteurs dont les facultés sont affaiblies n’auraient qu’à s’engager sur une propriété privée chaque fois qu’ils repèrent une voiture de patrouille. Le juge dissident de la Cour d’appel a suggéré que [traduction] « [d]ans de nombreux cas, ce sanctuaire sera éphémère, car le conducteur dont les facultés sont affaiblies ne demeurera sur la propriété privée que tant que la voiture de patrouille se trouve dans les parages. Dès qu’elle a disparu, le conducteur pourra de nouveau s’engager dans la voie publique et continuer à compromettre la sécurité publique » : par. 96, le juge Hourigan. À notre avis, le problème du sanctuaire est exagéré.

Premièrement, les interceptions aléatoires de vérification de la sobriété ne constituent pas le seul outil dont dispose la police pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies…

Deuxièmement, sauf en cas de contestation constitutionnelle couronnée de succès, notre Cour doit respecter la volonté que la législature a exprimée dans une loi valide. Il n’appartient pas à la Cour de réécrire la loi ou de se demander quelle loi elle aurait elle‑même édictée…


 

Lorsqu’on met en balance les facteurs de l’arrêt Grant, le poids cumulatif des deux premières questions doit être mis en balance par rapport à la troisième question : Lafrance, par. 90; R. c. Beaver, 2022 CSC 54, par. 134. En l’espèce, la première question milite légèrement en faveur de l’exclusion des éléments de preuve et la deuxième question milite modérément en faveur de celle‑ci. Cependant, la troisième question penche fortement en faveur de l’inclusion et, à notre avis, l’emporte sur le poids cumulatif des deux premières questions en raison de la nature cruciale et fiable des éléments de preuve ainsi que des importantes préoccupations d’ordre public en ce qui a trait au fléau de la conduite avec facultés affaiblies. Dans l’ensemble, eu égard à toutes les circonstances, les éléments de preuve ne doivent pas être écartés en application du par. 24(2). Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi au motif que les éléments de preuve obtenus dans l’interception policière illégale n’auraient pas dû être écartés en application du par. 24(2) de la Charte. En conséquence, nous sommes d’avis d’annuler l’acquittement et de rétablir la déclaration de culpabilité ainsi que le sursis prononcé au procès conformément à l’arrêt Kienapple. Le ministère public est autorisé à interjeter appel de la peine. Nous sommes d’avis d’éliminer la suramende compensatoire (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, [2018] 3 R.C.S. 599) et de rétablir par ailleurs la peine infligée.»