R. c. Kirkpatrick, 2020 BCCA 1362022 CSC 33 (39287)

«La plaignante a témoigné qu’elle et K s’étaient rencontrés en ligne et, ensuite, en personne pour déterminer s’ils voulaient avoir des relations sexuelles l’un avec l’autre. La plaignante a clairement fait savoir à K qu’elle donnerait son accord à des rapports sexuels avec lui seulement s’il portait un condom. En dépit de cela, durant leur deuxième rapport sexuel, K n’a pas porté de condom. Ce n’est qu’après que K a éjaculé en elle que la plaignante s’est rendu compte qu’il ne portait pas de condom. Sur le fondement de ces événements, K a été accusé d’agression sexuelle.

K a demandé le rejet de l’accusation en présentant une requête faisant valoir l’absence de preuve. Selon lui, la Couronne n’avait pas prouvé l’absence de consentement de la plaignante — un élément essentiel de l’actus reus de l’agression sexuelle — compte tenu de l’arrêt R. c. Hutchinson, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346, de la Cour, qui prescrit une analyse en deux étapes pour décider s’il y a eu consentement. À la première étape, il s’agit de se demander si la personne plaignante a consenti à se livrer à « l’activité sexuelle » au sens du par. 273.1(1) du Code criminel, qui est définie en fonction de l’acte sexuel spécifique en cause. Si la personne plaignante a consenti, ou si sa conduite soulève un doute raisonnable quant à son consentement, la seconde étape consiste à se demander s’il existe des circonstances, parmi celles énumérées au par. 265(3) ou à l’al. 273.1(2)c), y compris la fraude, qui vicient son consentement apparent. Pour conclure à la fraude visée par l’al. 265(3)c), il faut une preuve de malhonnêteté de la part de l’accusé, qui peut comprendre la non‑divulgation, ainsi qu’une privation sous la forme d’un risque important de lésions corporelles graves en raison de cette malhonnêteté. K a plaidé que l’accord de la plaignante aux rapports sexuels était suffisant pour établir le consentement à l’activité sexuelle, puisqu’elle avait consenti à tous les actes physiques auxquels les parties s’étaient livrées, et qu’il n’y avait aucune preuve que le consentement avait été vicié par la fraude.

Le juge du procès a accueilli la requête de K faisant valoir l’absence de preuve et a rejeté l’accusation d’agression sexuelle. La Cour d’appel a accueilli l’appel de la Couronne à l’unanimité, annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès; cependant, les trois juges ont divergé d’opinion sur le raisonnement à adopter pour déterminer quelle disposition du Code criminel s’appliquait dans l’examen du consentement, à savoir le par. 273.1(1) ou l’al. 265(3)c). K interjette appel devant la Cour de l’annulation de son acquittement.»

La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est rejeté.

La juge Martin écrit comme suit (aux paragraphes 1-3; 25; 99-106; 108):

«Le présent pourvoi soulève une importante question de droit relative au consentement et à l’utilisation du condom dans le contexte d’une allégation d’agression sexuelle. Quel cadre d’analyse faut‑il appliquer lorsque la plaignante a donné son accord à des rapports sexuels vaginaux à la condition que l’accusé porte un condom, et que celui‑ci choisit plutôt de ne pas en porter un? Toutes les parties et tous les membres de la Cour s’entendent pour dire que le refus de l’accusé de respecter les limites expresses que la plaignante avait fixées quant à la manière dont elle pouvait être touchée fait entrer en jeu le droit criminel. La question est celle de savoir si l’utilisation du condom fait partie de « l’activité sexuelle » à laquelle une personne peut donner son accord volontaire aux termes du par. 273.1(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46; ou, subsidiairement, de savoir si l’utilisation du condom est toujours dépourvue de pertinence quant à l’existence ou non du consentement au sens du par. 273.1(1), si bien qu’il y a consentement, mais que celui‑ci peut être vicié s’il y a fraude visée à l’al. 265(3)c) du Code criminel.

Je conclus que lorsque le consentement à des rapports sexuels est conditionnel à l’utilisation d’un condom, le seul cadre d’analyse conforme au texte, au contexte et à l’objet de l’interdiction de l’agression sexuelle est qu’il n’y a pas de consentement à l’acte physique qui consiste à avoir des rapports sexuels sans condom. Les relations sexuelles avec ou sans condom sont des formes fondamentalement et qualitativement distinctes de contact physique. Une personne plaignante qui consent à une relation sexuelle à la condition que son partenaire porte un condom ne consent pas à une relation sexuelle sans condom. Cette approche respecte les dispositions du Code criminel, la jurisprudence constante de notre Cour sur le consentement et sur l’agression sexuelle, ainsi que l’intention du Parlement de protéger l’autonomie sexuelle et la dignité humaine de toutes les personnes au Canada. Puisque seul oui veut dire oui et que non veut dire non, « non, pas sans condom » ne peut vouloir dire « oui, sans condom ». Si le partenaire de la personne plaignante fait fi de sa condition, le rapport sexuel est non consensuel et l’autonomie sexuelle de la personne plaignante ainsi que sa capacité d’agir en toute égalité sur le plan sexuel ont été violées.

En l’espèce, la plaignante a affirmé durant son témoignage avoir dit à l’appelant que son consentement à une relation sexuelle était conditionnel à l’utilisation d’un condom. Même si elle avait clairement établi où se situaient ses limites physiques, l’appelant a fait fi de ses volontés et n’a pas porté de condom. Ces propos constituent une preuve d’absence de consentement subjectif de la plaignante — un élément de l’actus reus de l’agression sexuelle. Le juge du procès a donc eu tort d’accueillir la requête de l’appelant faisant valoir l’absence de preuve. En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique annulant l’acquittement et renvoyant l’affaire à la Cour provinciale de la Colombie‑Britannique pour la tenue d’un nouveau procès.



Deux avenues s’offrent à nous pour déterminer l’effet juridique sur l’actus reus de l’agression sexuelle de l’omission de M. Kirkpatrick d’avoir porté un condom. Pour retenir la bonne approche, je commencerai par décrire l’infraction d’agression sexuelle, notamment en examinant l’art. 273.1 et le par. 265(3) ainsi que les éléments constitutifs de l’infraction. Je présenterai les arguments de l’intimée la Couronne et de l’appelant, puis j’expliquerai comment, lorsqu’elle est une condition du consentement de la personne plaignante, l’utilisation du condom doit faire partie de « l’activité sexuelle » visée à l’art. 273.1 du Code criminel. Il s’agit de la seule interprétation qui permette une lecture harmonieuse du texte des dispositions pertinentes dans leur contexte global et qui soit conforme à l’objectif du législateur de promouvoir l’autonomie sexuelle et la capacité d’agir, en toute égalité, sur le plan sexuel. Enfin, j’expliquerai pourquoi l’arrêt Hutchinson ne commande aucun autre résultat en ce qui concerne la question particulière que soulève le présent pourvoi.


 

À l’étape de l’actus reus de l’agression sexuelle, imposer comme condition du consentement l’utilisation d’un condom définit l’activité sexuelle à laquelle l’accord volontaire est donné au sens de l’art. 273.1. L’« activité sexuelle » à laquelle la personne plaignante doit consentir peut comprendre l’utilisation d’un condom.

La question de savoir si l’utilisation du condom fait partie de l’activité sexuelle dépend des faits et de la question de savoir si elle était une condition du consentement de la personne plaignante dans ces circonstances particulières. Comme l’explique l’arrêt Ewanchuk (par. 29‑30), cela oblige le juge des faits à examiner le témoignage de la personne plaignante et à apprécier sa crédibilité à la lumière de l’ensemble de la preuve.

En plus de clarifier le droit et d’en assurer la cohérence, reconnaître que l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle laisse intactes les limites soigneusement établies dans les arrêts Cuerrier et Mabior en lien avec la non-divulgation du VIH. Cette approche n’a absolument aucune incidence sur la criminalisation des personnes qui vivent avec le VIH, à moins qu’elles omettent de respecter la condition imposée par leur partenaire quant à l’utilisation du condom.

Lorsque l’utilisation d’un condom est une condition du consentement de la personne plaignante à l’activité sexuelle, elle fait partie de « l’activité sexuelle » et de l’analyse du consentement visé à l’art. 273.1. Si l’actus reus est établi, l’examen portera ensuite sur la mens rea. Si la personne accusée a cru par erreur au consentement de la personne plaignante et n’a pas fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à cet égard et si elle a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement, elle peut possiblement faire valoir un moyen de défense à l’étape de la mens rea de l’analyse (art. 273.2; Ewanchuk, par. 25, 47 et 49; J.A., par. 42; Barton, par. 90‑94). Le juge des faits est le mieux placé pour évaluer si, eu égard à la preuve, un condom a été retiré au mépris du consentement conditionnel de la personne plaignante ou si, par exemple, il est accidentellement tombé sans que la personne accusée l’ait remarqué.

Dans les affaires où un condom est en cause, l’arrêt Hutchinson s’applique lorsque la personne plaignante s’est aperçue après l’acte sexuel que la personne accusée portait un condom sciemment saboté. Cet arrêt demeure un précédent valable et ne s’applique qu’aux cas de tromperie, par exemple, lorsqu’un condom est utilisé, mais qu’il est rendu inefficace par un acte de sabotage et de tromperie. Si la personne plaignante s’aperçoit pendant l’acte sexuel que le condom a été saboté, elle peut alors révoquer son consentement subjectif, l’actus reus de l’agression sexuelle est établi, et il est inutile de procéder à l’analyse relative à la fraude.

Reconnaître que l’utilisation du condom peut faire partie de l’activité sexuelle ne revient pas à élargir la portée de l’art. 273.1 et n’est pas contraire au principe de modération en droit criminel. Le Parlement a affirmé à maintes reprises que le fait d’imposer à une victime, contre son gré ou à son insu, un acte sexuel auquel elle n’a pas consenti constitue une conduite criminellement répréhensible. Le refus ou le retrait non consensuel du condom est une forme de violence sexuelle qui engendre des préjudices et qui brime l’égalité, l’autonomie et la dignité humaine des personnes plaignantes. Il ne s’agit pas simplement d’un comportement [traduction] « indésirable » (motifs de première instance, par. 30).

Il n’y a aucune crainte au chapitre de l’imprécision ou de la certitude si l’utilisation du condom, y compris le refus ou le retrait non consensuel du condom, est considérée comme une partie de l’activité sexuelle. Le fait de se demander si un condom a été exigé et, dans l’affirmative, s’il a été utilisé comporte la certitude nécessaire pour empêcher la criminalisation à outrance. Bien que la modération soit un principe important du droit criminel, elle ne saurait l’emporter sur l’impératif absolu du Parlement d’adopter des lois en matière d’agression sexuelle qui respectent les droits et les réalités des personnes qui font l’objet de cette violence. Exclure de tels aspects physiques de l’activité sexuelle laisserait une lacune évitable et indésirable dans le droit en matière d’agression sexuelle, où certaines violations de l’intégrité physique d’une personne ainsi que sa capacité d’agir, en pleine égalité, sur le plan sexuel seraient rétrogradées comme étant moins dignes de protection. Cela serait contraire au principe fondamental selon lequel les motifs qu’a eu une personne plaignante de donner son accord uniquement à des rapports sexuels avec un condom ne sont pas pertinents. Le témoignage de la plaignante en l’espèce était clair : elle ne consentait pas à des relations sexuelles avec l’appelant sans condom, mais l’appelant a néanmoins choisi de se livrer à des rapports sexuels sans en porter un. Par conséquent, il existait certains éléments de preuve démontrant que la plaignante n’avait pas subjectivement consenti à l’activité sexuelle. Le juge du procès a commis une erreur en tirant une conclusion différente.



Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique annulant l’acquittement et prescrivant la tenue d’un nouveau procès.»