Sundman c. R., 2021 BCCA 532022 CSC 31 (39569)

«L’accusé et la victime étaient des trafiquants de drogue qui se vouaient une animosité réciproque. Le jour où la victime a été tuée, l’accusé l’a séquestrée illégalement dans une camionnette en mouvement et l’a agressée à maintes reprises en la frappant avec une arme de poing. La victime a sauté de la camionnette alors qu’elle ralentissait pour effectuer un virage, mais elle a été ensuite pourchassée à pied par l’accusé et deux complices. Pendant que la victime s’enfuyait en courant, l’accusé a tiré sur elle au moins trois fois, mais n’est pas parvenu à la tuer. Alors qu’elle gisait blessée, la victime a été abattue à bout portant par l’un des complices. L’accusé a été inculpé de meurtre au premier degré. La Couronne a plaidé que l’accusé était coupable de meurtre au premier degré parce qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité et de propos délibéré. Elle a plaidé subsidiairement que, comme l’accusé a tué la victime en commettant l’infraction de séquestration illégale, il était coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel. Le juge du procès n’était pas convaincu qu’il s’agissait d’un meurtre prémédité et de propos délibéré. Il a aussi estimé que, bien que la victime ait été séquestrée illégalement dans la camionnette, elle était parvenue à s’échapper en sautant de celle‑ci; en conséquence, en raison du bref intervalle entre la séquestration de la victime dans la camionnette et le moment où elle a été abattue, l’accusé ne l’avait pas tuée en commettant l’infraction de séquestration illégale. L’accusé a donc été acquitté de meurtre au premier degré, mais il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. La Cour d’appel, à l’unanimité, a accueilli l’appel de la Couronne, a annulé la déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, et y a substitué une déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré. La cour a conclu que la victime était toujours séquestrée illégalement quand elle a sauté de la camionnette et a été pourchassée avant d’être tuée, et qu’en conséquence l’accusé avait tué la victime en commettant l’infraction de séquestration illégale. La Cour d’appel a également statué qu’il existait un lien temporel et causal entre la séquestration illégale de la victime dans la camionnette et son meurtre, et que la suite d’événements en entier constituait de ce fait une seule affaire ou opération.»

La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est rejeté.

Le juge Jamal écrit comme suit (aux paragraphes 5, 29-31, 35, 39, 40, 53):

«…M. McLeod était toujours séquestré illégalement lorsqu’il s’est enfui de la camionnette en courant. Même si M. McLeod ne subissait pas de contrainte physique à l’extérieur de la camionnette, il était toujours soumis à la coercition par la violence, la peur et l’intimidation. Il était privé de sa liberté et n’était pas libre de ses mouvements. L’appelant l’a ensuite tué alors qu’il le séquestrait illégalement. Ces deux actes criminels distincts faisaient partie d’une suite ininterrompue d’événements qui constituaient une seule affaire. Ils étaient rapprochés dans le temps et consistaient en une domination constante de M. McLeod qui a commencé dans la camionnette, s’est poursuivie quand il s’est échappé de celle‑ci en courant, et a pris fin avec son meurtre. L’appelant est donc coupable de meurtre au premier degré par application de l’al. 231(5)e) du Code criminel.



Quelques années après avoir rendu l’arrêt Paré, notre Cour dans l’affaire Harbottle, à la p. 325, a décomposé le par. 231(5) (alors le par. 214(5) du Code criminel) en cinq éléments :

(1)   [L]’accusé est coupable du crime sous‑jacent comportant domination, ou d’une tentative de commettre ce crime,
(2)   l’accusé est coupable du meurtre de la victime,
(3)   l’accusé a participé au meurtre d’une telle manière qu’il a été une cause substantielle du décès de la victime,
(4)   il n’y a pas eu d’intervention d’une autre personne qui fait en sorte que l’accusé n’est plus substantiellement lié au décès de la victime, et
(5)   le crime comportant domination et le meurtre faisaient partie de la même opération, c’est‑à‑dire qu’on a causé la mort en commettant l’infraction comportant domination, dans le cadre de la même série d’événements.
(Voir aussi Magoon, par. 17 et 63.)

Le paragraphe 231(5) exige donc (1) un crime sous‑jacent comportant domination; (2) un meurtre; (3) une cause substantielle; (4) l’absence d’intervention d’une autre personne; et (5) une même opération (Parris, par. 45; McGregor, par. 61).

Dans certains cas, notre Cour a appliqué le test de la « seule affaire » suivant le par. 231(5) en se demandant si l’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre sont unis par un lien « temporel et causal » étroit (voir Paré, p. 629 et 634; Pritchard, par. 19, 25, 33‑35 et 38; Russell, par. 43 et 46‑47).



À mon avis, la jurisprudence de notre Cour n’indique pas que le test de la « seule affaire » formulé dans l’arrêt Stevens et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal impliquent des analyses différentes. Il s’agit simplement de deux façons différentes de traiter l’élément « même opération ». Ces deux approches ont été utilisées de manière interchangeable dans notre jurisprudence.



En conséquence, appliqués correctement, le test de la seule affaire et l’approche fondée sur le lien temporel‑causal impliquent la même analyse et mènent à la même conclusion. Lorsque le tribunal conclut à l’existence d’une seule affaire, il y a nécessairement un lien temporel‑causal. Pareillement, lorsque le tribunal conclut à l’existence d’un lien temporel‑causal, il y a nécessairement une seule affaire.

Enfin, notre Cour a jugé que l’infraction sous‑jacente comportant domination et le meurtre doivent impliquer deux actes criminels distincts (Pritchard, par. 27, citant Kimberley, par. 108, le juge d’appel Doherty; Magoon, par. 74; voir aussi Manning et Sankoff, p. 961‑962). L’infraction sous‑jacente ne peut se « dissou[dre] dans l’acte même du meurtre »; en d’autres termes, l’infraction sous‑jacente et le meurtre ne doivent pas faire qu’un (Pritchard, par. 27). S’il n’y a qu’un seul acte criminel, on ne saurait dire que le délinquant a exploité la situation de domination inhérente à l’infraction sous‑jacente en commettant le meurtre (par. 29). En pareil cas, la culpabilité morale élevée requise à l’égard du meurtre au premier degré est absente.



En conclusion, il va sans dire que si l’appelant avait abattu M. McLeod quand ce dernier était séquestré illégalement dans la camionnette, le tribunal aurait incontestablement conclu que l’appelant a tué M. McLeod « en commettant » l’infraction de séquestration illégale. En droit et selon le bon sens, la brève fuite de M. McLeod hors de la camionnette ne saurait atténuer la gravité du crime de l’appelant. Raisonnablement, la culpabilité morale de l’appelant ne saurait être jugée moins sévèrement du seul fait que M. McLeod a réussi à sauter d’une camionnette en mouvement et qu’il s’échappait en courant lorsqu’il a été exécuté à peine quelques instants plus tard. Dans les deux cas, la culpabilité morale de l’appelant est exceptionnellement élevée; dans les deux cas, elle mérite tout autant « la réprobation par la société des délinquants qui choisissent d’exploiter leur situation de domination et de pouvoir jusqu’au meurtre » (Luxton, p. 723).»