Canada c. Canada North Group Inc., 2019 ABCA 3142021 CSC 30 (38871)

«Canada North Group et six sociétés liées ont intenté une procédure de restructuration sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies  (« LACC  »). Dans la demande initiale qu’elles ont présentée en vertu de la LACC , elles réclamaient une série de mesures, y compris la création de trois charges super prioritaires : une charge visant des frais administratifs constituée en faveur des avocats, du contrôleur et du directeur de la restructuration pour les frais qu’ils ont engagés, une charge de financement en faveur d’un prêteur temporaire, et une charge constituée en faveur des administrateurs en vue de les protéger ainsi que les dirigeants contre les obligations contractées après l’introduction de l’instance. La demande comprenait un affidavit de l’un de leurs administrateurs pour attester l’existence d’une dette envers Sa Majesté la Reine à l’égard de la TPS et de retenues à la source des employés non versées. Le juge chargé d’appliquer la LACC  a rendu une ordonnance (« ordonnance initiale ») précisant que les charges super prioritaires devaient avoir « priorité sur tou[tes] les autres [. . .], garanties, [. . .], charges et sûretés, créances de créanciers garantis, d’origine législative ou autre », et ne devaient pas être « autrement limitées ou compromises de quelque façon que ce soit par [. . .] les dispositions de toute loi fédérale ou provinciale ». La Couronne a par la suite déposé une requête en modification, plaidant que les charges super prioritaires ne pouvaient avoir priorité sur la fiducie réputée créée par le par. 227(4.1)  de la Loi de l’impôt sur le revenu  (« LIR  ») à l’égard des retenues à la source non versées. La requête en modification a été rejetée, tout comme l’appel de la Couronne à la Cour d’appel.»

La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est rejeté.

La juge Côté écrit comme suit (aux paragraphes 3-4, 22-23, 30, 55, 57, 67-68, 72-73):

«La Couronne fait valoir deux arguments en raison desquels un juge surveillant ne devrait pas pouvoir subordonner l’intérêt de Sa Majesté à des charges super prioritaires. En premier lieu, la Couronne affirme que le par. 227(4.1)  crée un intérêt à titre de propriétaire dans les biens du débiteur et que le tribunal ne peut pas grever d’une charge super prioritaire les biens faisant l’objet d’un intérêt de Sa Majesté. En second lieu, la Couronne affirme que, même si le par. 227(4.1)  ne crée pas d’intérêt à titre de propriétaire, il crée, en vertu de la loi, une garantie qui a priorité sur toutes les autres garanties, y compris les charges super prioritaires.

Ces deux arguments doivent être rejetés. Ainsi que notre Cour l’a déjà jugé, la LACC  habilite de façon générale les juges surveillants à ordonner des charges super prioritaires qui ont priorité sur toutes les autres créances, y compris celles qui sont protégées par des fiducies réputées. Chaque fois qu’il est en présence d’une fiducie réputée, le juge surveillant doit déterminer la nature du droit conféré par le texte de loi habilitant, et il ne peut se fonder uniquement sur cette notion de fiducie réputée. En l’espèce, lorsqu’on examine les dispositions pertinentes de la LIR  dans leur intégralité, il est évident que la LIR  ne crée pas d’intérêt à titre de propriétaire, parce que la créance de Sa Majesté ne se rattache à aucun bien spécifique. De plus, il n’y a pas de conflit entre la LIR  et l’ordonnance rendue en vertu de la LACC , étant donné que la fiducie réputée créée en vertu de la LIR  n’a priorité que sur un ensemble bien précis de garanties. La charge super prioritaire constituée en vertu de l’art. 11  de la LACC  ne répond pas à cette définition.

Lorsqu’une cour d’appel révise l’ordonnance d’un juge surveillant, elle ne doit pas oublier que ce vaste pouvoir discrétionnaire a été confié aux juges surveillants afin qu’ils assument le rôle difficile de concilier sans cesse des intérêts conflictuels et fluctuants. La cour d’appel doit également reconnaître que les ordonnances ont généralement un caractère temporaire ou provisoire, et que le processus de restructuration évolue constamment. Ces considérations nécessitent non seulement que les juges surveillants soient investis d’un large pouvoir discrétionnaire, mais aussi que les cours d’appel fassent preuve d’une déférence particulière avant de modifier des ordonnances rendues en vertu de ce pouvoir discrétionnaire (Pacific National Lease Holding Corp., Re (1992), 72 B.C.L.R. (2d) 368 (C.A.), par. 30‑31).

En plus de l’art. 11 , on trouve dans certaines des dispositions qui le suivent des pouvoirs plus spécifiques, dont celui d’ordonner une sûreté ou une charge super prioritaire grevant tout ou partie des actifs de la compagnie débitrice en faveur de prêteurs temporaires (art. 11.2 ), de fournisseurs essentiels (art. 11.4), du contrôleur et des experts — notamment en finance et en droit — (art. 11.52 ), ou afin d’indemniser les dirigeants ou administrateurs (art. 11.51 ). Chacune de ces dispositions habilite le tribunal à « préciser, dans l’ordonnance, que la charge ou sûreté a priorité sur toute réclamation des créanciers garantis de la compagnie » (par. 11.2(2), 11.4(4), 11.51(2) et 11.52(2)).

Pour que les parties prenantes bénéficient d’une valorisation maximale, il est nécessaire de constituer des charges super prioritaires en faveur du contrôleur, des bailleurs de fonds et d’autres professionnels. Ces mesures profitent à l’ensemble des créanciers, y compris ceux dont les créances sont protégées par une fiducie réputée. Le fait qu’ils aient besoin d’une super priorité n’est qu’un des aspects de « [l]a dure réalité [. . .] que l’octroi de prêts est régi par les impératifs commerciaux des prêteurs » (Indalex, par. 59). Il n’est pas sensé, au plan commercial, de s’engager en présence d’un risque élevé. Il n’y a rien d’équitable dans la situation où, pour aider une entreprise à se restructurer et à se développer, un contrôleur et des prêteurs s’exposent à des risques, et découvrent par la suite qu’une fiducie réputée prévaut sur l’ensemble des créances. Comme la juge McLachlin (plus tard juge en chef) l’a dit, accorder la priorité absolue à une fiducie réputée — alors qu’elle ne constitue pas une fiducie selon les principes généraux du droit — serait « contrair[e] à l’équité et au bon sens » (Colombie‑Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24, p. 33).

Je répète qu’il ne peut y avoir de fiducie si aucun bien précis n’y est associé. Le fait que le par. 227(4.1)  prévoit expressément que la nature des biens change avec le temps, et ce, indépendamment des biens que le débiteur choisit de soustraire à la fiducie réputée, démontre que le législateur avait autre chose en tête que la propriété bénéficiaire au sens où l’entend la common law. Je suis portée à souscrire à l’avis du juge Noël sur le par. 227(4.1) : « Le mécanisme de la fiducie réputée, qu’il soit appliqué au Québec ou ailleurs, a comme effet de créer en faveur de la Couronne une garantie . . . » (Caisse populaire d’Amos, par. 46).

Néanmoins, pour nos besoins, il n’est pas nécessaire de trancher de façon définitive la question de savoir si l’intérêt créé par le par. 227(4.1)  doit être qualifié de garantie. Ce qui est clair, en revanche, c’est que le par. 227(4.1)  ne crée pas un droit de bénéficiaire qui peut être considéré comme un intérêt à titre de propriétaire. À l’instar de la fiducie réputée dont il était question dans l’affaire Henfrey, le par. 227(4.1)  « ne confère pas [à la Couronne] le même droit de propriété qu’une fiducie de common law » (p. 35-36). N’étant associé à aucun bien précis, ce qui conférerait à son titulaire le droit habituel à la jouissance du bien ou imposerait les obligations d’un fiduciaire, l’intérêt créé par le par. 227(4.1)  ne possède pas les attributs qui permettent à un tribunal de qualifier le bénéficiaire de propriétaire bénéficiaire. Par conséquent, je n’accepte pas l’argument de la Couronne selon lequel Sa Majesté a un intérêt à titre de propriétaire dans les biens du débiteur qui suffit à empêcher le juge surveillant d’ordonner des charges super prioritaires en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 11  de la LACC  ou l’un ou l’autre des articles qui le suivent.

Enfin, si le législateur avait voulu inclure les charges super prioritaires d’origine judiciaire dans la définition de « garantie », il l’aurait dit expressément. Il faut tenir pour acquis que le législateur a légiféré en tenant compte de l’application de la LACC. Pour citer la professeure Sullivan, [traduction] « [l]e législateur est présumé connaître ses propres lois et rédiger chaque nouvelle disposition en tenant compte des structures, des conventions et des formules d’expression, de même que du droit substantif exprimé dans la législation existante » (Sullivan (2014), p. 422 (note en bas de page omise)). Puisque, dans l’arrêt Indalex, notre Cour a déjà statué que l’octroi d’une charge super prioritaire « constitue un élément clé de la capacité du débiteur de tenter de conclure un arrangement », on s’attendrait à ce que le législateur utilise des termes plus clairs dans les cas où une telle définition pourrait compromettre l’application d’une autre de ses propres lois. Je suis donc en total désaccord avec mes collègues les juges Brown et Rowe quand ils affirment que « rien dans la définition de “garantie” qui figure dans la LIR  ne permet d’exclure une garantie conçue pour fonctionner au profit de tous les créanciers » (par. 210). Au contraire, tout tend à démontrer que les charges super prioritaires sont exclues de la définition de « garantie ».

En conclusion, une charge super prioritaire ordonnée par un tribunal en vertu de la LACC  n’est pas une garantie au sens du par. 224(1.3)  de la LIR . Il n’y a donc pas de conflit entre le par. 227(4.1)  de la LIR  et l’ordonnance initiale rendue en l’espèce. Avec égards, je ne souscris pas à l’idée de mon collègue le juge Moldaver suivant laquelle il y a peut‑être un conflit entre l’art. 11  de la LACC  et la LIR  (par. 258). Les charges super prioritaires constituées aux termes de l’ordonnance initiale l’emportent sur la fiducie réputée.

Cela dit, les tribunaux devraient tout de même reconnaître le caractère distinct de l’intérêt de Sa Majesté et n’accorder une charge ayant priorité sur la fiducie réputée que dans les cas où c’est nécessaire. Lorsqu’il s’agit de constituer une charge super prioritaire, le juge surveillant doit toujours se demander si cette mesure favorisera la réalisation des objectifs de la LACC . Lorsqu’il est possible qu’une créance de Sa Majesté soit protégée par une fiducie réputée, le juge doit également se demander s’il est nécessaire d’accorder une super priorité. Le dossier dont nous disposons ne nous permet pas de connaître les motifs à l’appui de l’ordonnance initiale et il est donc difficile de répondre à la question en l’espèce. Puisque Sa Majesté a été payée et que l’affaire est en fait devenue théorique, il n’est pas essentiel de nous prononcer sur la question de savoir si le juge surveillant croyait qu’il était nécessaire de subordonner la créance de Sa Majesté à des charges super prioritaires. Si l’on se reporte aux motifs exposés par la juge Topolniski pour rejeter la requête présentée par la Couronne en vue de faire modifier l’ordonnance initiale, il est évident qu’elle aurait conclu que les charges super prioritaires méritaient d’avoir priorité sur l’intérêt de Sa Majesté (par. 100‑104). Je tiens toutefois à dire quelques mots au sujet des cas où il peut s’avérer nécessaire pour le juge surveillant de subordonner l’intérêt de Sa Majesté à des charges super prioritaires.

Il peut s’avérer nécessaire de subordonner la fiducie réputée de Sa Majesté à d’autres charges lorsque le juge surveillant estime que, sans la charge super prioritaire, un professionnel ou un prêteur donné refuserait de s’engager, ce qui peut se produire assez souvent. Par contre, je suis d’accord avec le professeur Wood pour dire que, même si la subordination des charges super prioritaires à la créance de Sa Majesté aura souvent pour effet d’augmenter les coûts et la complexité de la restructuration, il existe des situations où ce ne sera pas le cas. Par exemple, lorsque la créance de Sa Majesté est peu élevée ou qu’elle est connue avec une grande certitude, les entités commerciales pourront gérer leurs risques et n’auront pas besoin d’une super priorité. Après tout, il existe un ordre de collocation même parmi les charges super prioritaires et il est donc évident que ces créanciers sont disposés à ce que leurs créances soient assujetties à certains plafonds fixes. Un autre exemple où des considérations différentes peuvent entrer en jeu est celui de la procédure dite de liquidation prévue par la LACC . Ainsi que notre Cour l’a récemment reconnu, les procédures prévues par la LACC  dont l’objectif fondamental est la liquidation — et non de porter secours à une entreprise en exploitation — occupent une place légitime au sein du régime de la LACC  et ont été acceptées par le législateur par l’adoption de l’art. 36  (Callidus Capital, par. 42‑45). Les procédures de liquidation prévues par la LACC  visent souvent à maximiser le rendement au profit des créanciers, de sorte que la subordination de l’intérêt de Sa Majesté s’en trouve moins justifiée, hormis les cas de présumé enrichissement sans cause.»