R. c. G.F., 2021 CSC 20 (38801)

«F et B ont été accusés d’avoir agressé sexuellement la plaignante, âgée de 16 ans, lors d’une fin de semaine de camping. La question au procès était de savoir si la plaignante, qui avait consommé de l’alcool, avait consenti à l’activité sexuelle avec F et B. La plaignante et F ont tous les deux témoigné et présenté des versions diamétralement opposées des faits; B n’a pas témoigné. La Couronne a fait valoir que le témoignage de la plaignante établissait clairement l’incapacité en raison de son état d’ébriété, et aussi que la plaignante n’avait pas donné son accord à l’activité sexuelle. F et B ont soutenu que la plaignante n’était pas crédible et qu’elle n’était pas dans un état d’ébriété aussi avancé qu’elle le prétendait, et qu’elle avait donné son accord à l’activité sexuelle. Le juge du procès a accepté le témoignage de la plaignante et déclaré F et B coupables d’agression sexuelle.

F et B ont interjeté appel. La Cour d’appel a rejeté l’argument selon lequel le verdict était déraisonnable, concluant que le témoignage de la plaignante n’était pas manifestement incompatible avec l’incapacité de consentir. Toutefois, la Cour d’appel a conclu que le juge du procès avait omis de cerner les facteurs pertinents devant être pris en compte lorsqu’il s’agit d’évaluer si l’ébriété a privé la plaignante de sa capacité à consentir, et qu’il n’avait pas examiné la question du consentement en premier lieu et séparément de la question de la capacité. Par conséquent, la Cour d’appel a conclu qu’un nouveau procès était nécessaire autant pour F que pour B.»
La Cour suprême du Canada dit que le pourvoi est accueilli et les déclarations de culpabilité sont rétablies.

La juge Karakatsanis écrit comme suit (aux paragraphes 1-5, 74-82, 102-103):
«Le consentement est l’assise sur laquelle sont fondées les règles de droit canadiennes relatives aux agressions sexuelles. Depuis des décennies, la Cour reconnaît que « [l]e pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain » : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, par. 28. Par conséquent, le consentement est soigneusement circonscrit et ses contours sont jalousement protégés. Il est maintenant incontestable que le consentement est un état d’esprit subjectif, entièrement personnel à la plaignante. Le consentement implicite n’a pas sa place au Canada, et l’éventail des croyances erronées qu’un accusé peut légalement avoir au sujet du consentement de la plaignante est strictement limité par le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46.

Le présent pourvoi donne à la Cour l’occasion de préciser le rapport entre le consentement et la capacité de donner un consentement. À mon avis, la capacité et le consentement sont inextricablement liés. Le consentement subjectif à une activité sexuelle exige à la fois que la plaignante soit capable de consentir et qu’elle le fasse effectivement.

Les intimés sont d’un autre avis, et soutiennent que l’incapacité est un facteur viciant le consentement subjectif qui le rend nul et sans effet. Ils font donc valoir que le juge du procès a commis une erreur en fusionnant son évaluation du consentement et celle de la capacité et en omettant d’évaluer le consentement subjectif en premier lieu et séparément de la capacité à consentir.

Je ne suis pas de cet avis. Ce n’est que dans le cas où il y a eu consentement subjectif, ou s’il existe un doute raisonnable concernant celui‑ci, que le juge des faits doit pousser plus loin l’analyse et se demander si le consentement a été par ailleurs vicié. La question du vice du consentement n’était pas en cause dans la présente affaire; la seule question à trancher était de savoir si la plaignante avait subjectivement consenti. La Couronne a soutenu qu’il n’y avait pas eu consentement subjectif pour deux raisons : la plaignante était incapable de consentir et elle n’a pas donné son accord à l’activité sexuelle. Le juge du procès n’avait aucune obligation d’évaluer ces deux questions séparément ou dans un ordre particulier.

Le juge du procès n’a pas non plus commis une erreur en omettant d’examiner la jurisprudence portant sur les situations où l’état d’ébriété donne lieu à une incapacité de consentir. De l’avis de la Cour d’appel, les motifs du juge du procès pouvaient être interprétés comme assimilant tout degré d’ébriété à l’incapacité de consentir. Évidemment, cela constituerait une erreur de droit. Cependant, dans le contexte du présent procès, une telle interprétation n’était pas possible. Étant donné que le juge du procès a accepté le témoignage de la plaignante concernant son état d’ébriété extrême, la question de « tout degré d’ébriété » n’était pas en litige. La Cour a toujours répété l’importance d’une interprétation fonctionnelle et contextuelle des motifs du juge du procès. Il incombe aux juridictions d’appel d’établir si la partie lésée comprend ce que le juge du procès a décidé et pourquoi, et si les motifs permettent l’examen en appel. En l’espèce, les motifs du juge du procès étaient suffisants pour répondre à cette fin. Je profiterais également de l’occasion pour décourager la recherche technique d’erreurs et pour réaffirmer l’importance d’aborder les motifs du juge du procès en tenant compte de son rôle et de sa position avantageuse pour tirer des conclusions sur les faits et la crédibilité.


Pour que les motifs puissent être considérés comme suffisants en droit, il faut que la partie lésée soit capable d’exercer valablement son droit d’appel : Sheppard, par. 64‑66. Les avocats doivent être capables de déterminer la viabilité d’un appel et les juridictions d’appel doivent être capables d’établir si une erreur s’est produite : par. 46 et 55. La suffisance en droit est étroitement liée au contexte et doit être appréciée à la lumière des questions en litige au procès. Le juge du procès n’a aucune obligation d’expliquer les éléments du droit criminel qui ne sont pas contestés dans l’affaire dont il est saisi. Il en est ainsi en raison de la présomption d’application correcte, soit celle portant que « [le juge du procès] comprend les principes fondamentaux du droit criminel en cause dans le procès » : R.E.M., par. 45. Comme il est indiqué dans l’arrêt R. c. Burns, [1994] 1 R.C.S. 656, p. 664, « [l]es juges du procès sont censés connaître le droit qu’ils appliquent tous les jours » : voir aussi Sheppard, par. 54. Il faut garder cette présomption à l’esprit lors de l’interprétation fonctionnelle et contextuelle. Les juges présidant des procès sont occupés. Ils n’ont pas à faire la démonstration de leur connaissance des principes fondamentaux du droit criminel.

Inversement, la suffisance en droit peut exiger plus lorsque le juge du procès est appelé à trancher un point de droit controversé. En pareil cas, des motifs superficiels pourraient cacher des erreurs de droit potentielles et empêcher une cour d’appel de suivre le raisonnement du juge du procès : Sheppard, par. 40, citant R. c. McMaster, [1996] 1 R.C.S. 740, par. 25‑27. Bien que le juge du procès ne soit pas tenu de fournir des cartes détaillées pour les voies bien tracées, il doit donner davantage d’explications lorsqu’il s’aventure hors des sentiers battus. Toutefois, si le fondement juridique de la décision peut néanmoins être dégagé du dossier, dans le contexte des questions en litige au procès, les motifs seront considérés comme suffisants en droit.

Malgré les indications claires données par la Cour depuis que l’arrêt Sheppard a été rendu il y a 19 ans, selon lesquelles l’examen des motifs doit être fonctionnel et contextuel, nous continuons à voir des décisions des juridictions d’appel où le tribunal passe au peigne fin le texte des motifs de première instance à la recherche d’une erreur. Cela se produit particulièrement dans des affaires d’agression sexuelle, où des condamnations justifiées rendues à la suite de procès équitables sont annulées non pas sur le fondement d’une erreur juridique, mais sur le fondement d’une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès. Bien souvent, ce sont les conclusions relatives à la crédibilité qui sont contestées.

Dans trois récents appels de plein droit, notre Cour a rétabli les déclarations de culpabilité pour agression sexuelle qui avaient été annulées en appel, se ralliant ainsi à l’opinion d’un juge dissident.

Dans l’arrêt R. c. Langan, 2020 CSC 33, inf. 2019 BCCA 467, 383 C.C.C. (3d) 516, la Cour a fait siens les motifs dissidents du juge en chef Bauman, qui avait conclu que l’utilisation ambiguë par le juge du procès de certains messages textes n’établissait pas l’existence d’une erreur à la lumière d’une interprétation fonctionnelle et contextuelle. Le juge en chef Bauman a conclu, étant donné qu’il y avait des raisons valables d’admettre en preuve les messages textes, que [traduction] « nous ne devrions pas supposer que les éléments de preuve admis à bon droit ont été mal utilisés, en l’absence d’indications claires du contraire » : Langan (C.A.), par. 103; voir aussi par. 140.

Pour avoir gain de cause en appel, l’appelant doit établir l’existence d’une erreur ou d’une entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 54. Le simple fait de souligner les aspects ambigus de la décision de première instance n’établit ni l’une ni l’autre. Lorsque tout ce que l’on peut dire c’est que le juge du procès a peut‑être commis une erreur, l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il y a effectivement erreur ou entrave à l’examen en appel. Lorsque des ambiguïtés dans les motifs du juge du procès se prêtent à de multiples interprétations, celles qui sont compatibles avec la présomption d’application correcte doivent être préférées à celles qui laissent entrevoir une erreur : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 10‑12, citant R. c. Morrissey (1995), 22 O.R. (3d) 514 (C.A.), p. 523‑525. Ce n’est que lorsque les ambiguïtés, examinées dans le contexte de l’ensemble du dossier, rendent inintelligible le raisonnement du juge du procès qu’il y a entrave à l’examen en appel : Sheppard, par. 46. Une juridiction d’appel doit être rigoureuse dans son appréciation, en examinant les motifs qui posent problème dans le contexte de l’ensemble du dossier et en établissant si le juge du procès a commis ou non une erreur ou s’il y a eu entrave à l’examen en appel. Il ne suffit pas de dire que les motifs du juge du procès sont ambigus — la cour d’appel doit déterminer l’ampleur et l’importance de l’ambiguïté.

Dans les arrêts R. c. Kishayinew, 2020 CSC 34, inf. 2019 SKCA 127, 382 C.C.C. (3d) 560, et R. c. Slatter, 2020 CSC 36, inf. 2019 ONCA 807, 148 O.R. (3d) 81, la Cour a adopté les motifs d’un juge dissident qui avait conclu que le juge du procès n’avait pas commis d’erreur en examinant ensemble la crédibilité et la fiabilité. Dans les deux affaires, les juges présidant les procès avaient accepté les témoignages des plaignantes et les avaient jugées crédibles, même si les conclusions qu’ils avaient tirées au sujet de la fiabilité n’étaient pas explicites à la lecture des motifs.

Comme le démontre l’arrêt Slatter, les conclusions sur la crédibilité que rend un juge du procès commandent une déférence particulière. Bien que le droit exige que des motifs soient exprimés pour de telles conclusions, il reconnaît également que dans notre système de justice, le juge du procès est le juge des faits et bénéficie de l’avantage intangible que lui confère le fait de présider le procès. Parfois, la preuve indépendante et objective, par exemple, simplifie les conclusions sur la crédibilité. Une preuve corroborante peut étayer une conclusion d’absence de consentement volontaire, mais elle n’est évidemment pas requise, ni toujours disponible. Souvent, particulièrement dans un cas d’agression sexuelle où le crime est habituellement commis en privé, il n’y a que peu d’éléments de preuve supplémentaires, et la formulation de motifs relatifs aux conclusions sur la crédibilité peut être plus difficile. Conscient de la présomption d’innocence et du fardeau de la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable, le juge du procès s’efforce d’expliquer pourquoi la plaignante est jugée crédible, ou pourquoi l’accusé n’est pas jugé crédible, ou pourquoi la preuve ne soulève pas un doute raisonnable. Toutefois, comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Gagnon, par. 20 :

  • Apprécier la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Il est très difficile pour le juge de première instance de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits.

Les conclusions sur la crédibilité doivent également être appréciées en fonction de la présomption d’application correcte du droit, surtout en ce qui concerne le rapport entre fiabilité et crédibilité. La jurisprudence insiste souvent sur la distinction entre fiabilité et crédibilité, assimilant la fiabilité à la capacité d’un témoin d’observer, de se souvenir et de raconter les événements avec précision, et faisant référence à la crédibilité comme étant la sincérité ou l’honnêteté d’un témoin : voir, p. ex., R. c. H.C., 2009 ONCA 56, 244 O.A.C. 288, par. 41. Toutefois, selon une interprétation fonctionnelle et contextuelle des motifs de première instance, les juridictions d’appel devraient non pas prendre en considération le fait que le juge du procès a expressément utilisé les mots « crédibilité » et « fiabilité », mais plutôt se demander s’il s’est penché sur les facteurs pertinents qui se rapportent à la vraisemblance de la preuve dans le contexte factuel de l’affaire, notamment les préoccupations concernant la véracité et l’exactitude. La volonté du juge du procès d’accepter ou de croire le témoignage incriminant d’une plaignante comprend une appréciation implicite de la véracité ou la sincérité et de l’exactitude ou la fiabilité : Vuradin, par. 16. Souvent, le mot « crédibilité » est utilisé dans ce sens plus large pour désigner la vraisemblance de la preuve et comprend nécessairement la véracité et l’exactitude : McWilliams’ Canadian Criminal Evidence (5e éd. (feuilles mobiles)), vol. 3, p. 30‑1 et 30‑2. Par exemple, selon le Black’s Law Dictionary (11e éd. 2019), p. 463, la crédibilité s’entend de [traduction] « [l]a qualité qui rend quelque chose (comme un témoin ou des éléments de preuve) digne de foi » et les modèles de directives au jury incluent la véracité et l’exactitude dans les évaluations de la « crédibilité » : G. A. Ferguson et M. R. Dambrot, CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions (4e éd. (feuilles mobiles)). Pour autant que les juges présidant des procès se penchent sur ces considérations, ils ne sont pas tenus de prononcer le mot « fiable ».


Les motifs du juge du procès n’étaient pas parfaits, et ils n’avaient pas à l’être. Le juge du procès n’a pas commis d’erreur en abordant en même temps le consentement et la capacité tout au long de ses motifs. La capacité est une condition préalable au consentement, de sorte qu’il n’était pas nécessaire pour le juge du procès d’examiner la question de la capacité séparément de celle du consentement factuel, ou après. Le juge du procès pouvait conclure que la plaignante était à la fois incapable de consentir et qu’elle n’avait pas consenti dans les faits et déclarer les intimés coupables par l’une ou l’autre de ces voies, ou les deux.

Le juge du procès n’a pas non plus assimilé tout degré d’ébriété à l’incapacité. Il a expliqué ce qu’il a conclu et pourquoi, soit que les intimés avaient commis une agression sexuelle sur la plaignante qui était dans un état d’ébriété extrêmement avancé, et qui était inconsciente lorsque l’agression a commencé. Les déclarations de culpabilité étaient raisonnables et le juge du procès n’a commis aucune erreur.»

Les juges Brown et Rowe (motifs conjoints concordants) écrivent comme suit (aux paragraphes 105-107, 109-115, 124):

«Les motifs de notre collègue la juge Karakatsanis emportent largement notre adhésion, y compris son dispositif (auquel nous arrivons également, mais par une voie différente). Nous reconnaissons, par exemple, que la capacité à consentir devrait être considérée comme une condition préalable au consentement au sens de l’art. 273.1  du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 . Il nous apparaît aussi possible de conclure qu’une plaignante n’avait pas la capacité de consentir tout en étant capable de refuser de consentir (voir J. Benedet et I. Grant, « Hearing the Sexual Assault Complaints of Women with Mental Disabilities : Consent, Capacity, and Mistaken Belief » (2007), 52 R.D. McGill 243, p. 270).

Sous réserve des observations que nous formulons ci‑après, nous souscrivons aussi à une bonne part de la recension que fait notre collègue des règles de droit applicables à l’examen en appel de la suffisance des motifs. Ce qui nous divise, essentiellement, c’est la manière dont ces règles s’appliquent aux motifs du juge du procès en l’espèce. En déclarant coupables les intimés pour cause d’incapacité de la plaignante à consentir, le juge du procès n’a pas expliqué ni la norme qui l’a conduit à conclure à cette incapacité, ni l’application de cette norme à des circonstances dans lesquelles, notablement, le témoignage de la plaignante n’était pas concluant. C’était, à notre humble avis, une erreur.

Cela dit, la preuve démontrant que la plaignante n’a pas consenti est accablante. Nous sommes donc d’avis d’appliquer la disposition réparatrice, d’accueillir le pourvoi et de rétablir les déclarations de culpabilité des intimés.


Comme le rappelle de façon générale notre collègue la juge Karakatsanis, le mandat d’une cour d’appel dans le système de justice criminelle consiste à examiner les décisions de première instance, et les juges présidant des procès doivent motiver suffisamment leur décision à cette fin. Elle précise que les tribunaux chargés de l’examen en appel doivent s’abstenir de « décortiquer avec finesse » les motifs du juge du procès à la recherche d’une erreur, et elle déplore les « décisions des juridictions d’appel où le tribunal passe au peigne fin le texte des motifs de première instance » et qui sont fondées sur « une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès » (par. 69 et 76 (nous soulignons)). Il n’en demeure pas moins, peu importe le cas — et nous ne supposons pas que notre collègue soit en désaccord — qu’une cour d’appel ne s’acquittera pas de son rôle en parcourant en diagonale les motifs du jugement de première instance, mais plutôt en les lisant et les examinant afin de constater si, eu égard à la preuve et aux arguments présentés au procès, le juge du procès a ou non discerné et tranché les points litigieux de manière à permettre un examen valable en appel (Sheppard, par. 28; R.E.M., par. 57). Vues sous cet angle, des mises en garde abstraites portant sur « le décorticage » et « l’examen au peigne fin » ne sont pas, à notre humble avis, particulièrement utiles pour guider concrètement les tribunaux chargés de l’examen en appel. L’étendue de l’examen rigoureux auquel sont plutôt tenues les cours d’appel découle de l’objet de cet examen, qui est de s’assurer que les motifs du juge du procès permettent (comme indiqué plus haut) d’expliquer le verdict à l’accusé, de rendre compte au public et de permettre un véritable examen en appel.

Un autre problème se pose, et il découle de l’affirmation de notre collègue selon laquelle, en dépit des indications données par notre Cour dans l’arrêt Sheppard, « nous continuons à voir des décisions des juridictions d’appel où le juge passe au peigne fin le texte des motifs de première instance à la recherche d’une erreur », où « des condamnations justifiées rendues à la suite de procès équitables sont annulées non pas sur le fondement d’une erreur juridique, mais sur le fondement d’une analyse détaillée de l’expression imparfaite ou sommaire de la part du juge du procès » (par. 76). Certes, des condamnations justifiées qui ne sont entachées d’aucune erreur de droit ne devraient pas être annulées. Toutefois, soit dit en tout respect, ce n’est pas là une observation d’une grande utilité, puisqu’il est impossible de conclure qu’une déclaration de culpabilité est « justifiée » ou qu’un procès a été « équitable » si la décision n’est pas suffisamment motivée pour en permettre l’examen en appel. La critique de notre collègue suppose la conclusion. Bien que les motifs du juge du procès n’aient pas à être parfaits, nous ne croyons pas que l’examen rigoureux de ceux‑ci soit incompatible avec les balises proposées par notre Cour dans l’arrêt Sheppard. Au contraire, les cours d’appel sont chargées d’examiner en appel les motifs du juge du procès, et la personne qui fait appel de la déclaration de culpabilité prononcée contre elle bénéficie d’un droit conféré par la loi à ce que le verdict rendu en première instance soit soumis à un « examen convenable » (Sheppard, par. 46 (en italique dans l’original)).

De même, bien que nous acceptions que le juge du procès soit présumé connaître le droit qu’il applique tous les jours et qu’il ne soit pas tenu « d’expliquer les éléments du droit criminel qui ne sont pas contestés dans l’affaire dont il est saisi » (motifs de la juge Karakatsanis, par. 74), cela n’élimine pas l’importance que le tribunal chargé de l’examen en appel s’acquitte correctement et soigneusement de son rôle. Comme l’a indiqué la Cour, la présomption citée par notre collègue « a une portée limitée » puisque « c’est la justesse de la décision rendue dans une affaire en particulier que les parties peuvent faire examiner par un tribunal d’appel » (Sheppard, par. 55, point 9). Autrement dit, la présomption selon laquelle le juge du procès connaît le droit n’écarte pas l’obligation du tribunal chargé de l’examen en appel d’exiger que les motifs de première instance, lus conjointement avec le dossier, montrent que le droit a été correctement appliqué dans un cas donné (Sheppard, par. 55, points 2 et 9; R.E.M., par. 47).

Cela dit, notre principal point de départ découle de l’affirmation suivante de notre collègue :

  • Lorsque tout ce que l’on peut dire c’est que le juge du procès a peut-être commis une erreur, l’appelant ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir qu’il y a effectivement erreur ou entrave à l’examen en appel. Lorsque des ambiguïtés dans les motifs du juge du procès se prêtent à de multiples interprétations, celles qui sont compatibles avec la présomption d’application correcte doivent être préférées à celles qui laissent entrevoir une erreur. [par. 79]

Soit dit en tout respect, cette affirmation s’écarte de la jurisprudence établie.

L’accusé et son avocat doivent décider de manière éclairée s’ils interjetteront appel et, dans l’affirmative, quels moyens ils invoqueront (R.E.M., par. 11, point 3; Sheppard, par. 24). Ils ont, par conséquent, le droit de savoir non seulement que le juge du procès a écarté le doute raisonnable, mais aussi pourquoi il l’a écarté (Dinardo, par. 35, citant R. c. Gagnon, 2006 CSC 17, [2006] 1 R.C.S. 621, par. 21; R.E.M., par. 17). Comme l’écrivait la juge en chef McLachlin dans l’arrêt R.E.M., par. 37 :

  • Il s’agit de savoir si, en lisant les motifs dans leur contexte global, il est possible de discerner le fondement des conclusions du juge du procès — le « pourquoi » du verdict.

Étant donné que le « pourquoi » du verdict est important, il s’ensuit que lorsque les motifs du juge du procès, lus à la lumière du dossier, demeurent obscurs ou incertains, ils sont insuffisants. Pour cette raison, « lorsque [. . .] le tribunal d’appel s’estime incapable de déterminer si la décision est entachée d’une erreur », la réponse de la Cour dans l’arrêt Sheppard n’a pas été de laisser passer les motifs, mais plutôt de les considérer comme insuffisants (par. 28). Fait à noter, dans l’arrêt Sheppard, cela englobait la situation où « on peut donner de la décision du juge du procès des explications contradictoires dont au moins certaines constitueraient manifestement une erreur en justifiant l’annulation » (par. 46). Notre collègue ne tient pas compte de cette considération.

Il est donc inexact d’affirmer, comme le fait notre collègue, que les motifs sont suffisants même lorsque les ambiguïtés qui s’y trouvent laissent place à la possibilité que le juge « a peut‑être commis une erreur ». L’insuffisance a lieu précisément lorsqu’un tribunal d’appel se trouve incapable d’établir si le raisonnement d’un juge est entaché d’une erreur. Nous n’acceptons pas non plus que la présomption selon laquelle le juge du procès connaît le droit puisse être utilisée en tant qu’outil permettant de conclure qu’une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont obscurs ou incertains. Non seulement cela ne correspond pas au rôle dévolu au tribunal chargé de l’examen en appel, mais cela a pour effet de laisser l’accusé dans l’ignorance des motifs de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui.

Les motifs du juge du procès ne sont pas suffisants pour permettre un examen en appel de sa conclusion selon laquelle la plaignante n’avait pas la capacité de consentir. Toutefois, compte tenu de la preuve accablante établissant que la plaignante n’a pas consenti à l’activité sexuelle, seul un verdict de culpabilité était possible. Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir les déclarations de culpabilité.»

La juge Côté (motifs dissidents) écrit comme suit (aux paragraphes 125-126):

«Je souscris à l’opinion de mes collègues les juges Brown et Rowe quant aux règles de droit applicables à l’examen en appel de la suffisance des motifs. Selon mes collègues, le juge du procès a erré en déclarant les intimés coupables au motif que la plaignante était incapable de consentir, sans expliquer quelle norme l’a mené à conclure à cette incapacité ni de quelle façon cette norme s’appliquait au témoignage de la plaignante. Je partage cet avis et j’expose ci‑après une autre erreur qui a trait à l’amalgame entre les notions de consentement et de capacité à consentir.

Toutefois, je dois me dissocier de mes collègues quand ils affirment qu’« une conclusion d’incapacité était certainement possible au vu de [la] preuve » (motifs des juges Brown et Rowe, par. 118) et que les déclarations de culpabilité peuvent donc être confirmées par l’application de la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 . Selon moi, les erreurs du juge du procès n’étaient ni inoffensives ni anodines, et je ne crois pas non plus que la preuve soit si accablante que le juge des faits conclurait inévitablement à la culpabilité des intimés. Puisque la crédibilité était la question centrale du procès et qu’à mon avis la preuve à charge n’était pas par ailleurs [traduction] « accablante » (R. c. L.K.W. (1999), 126 O.A.C. 39, par. 101), je ne crois pas qu’il y ait lieu en l’espèce d’appliquer la disposition réparatrice. Je rejetterais donc le pourvoi et confirmerais l’ordonnance de la Cour d’appel exigeant la tenue d’un nouveau procès.»